PHILIP K. DICK

Philip K. Dick est venu à Metz… Philip K. Dick viendra à Hettange-Grande

Philip K. Dick : les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques

Pour cette première édition du festival, nous voulions rendre hommage à un géant de la littérature.
Depuis près de 50 ans, Philip K. Dick influence la Science-Fiction avec des oeuvres telles que Ubik, Le Maître du haut château, Substance Mort, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? Coulez mes larmes, dit le policier…

Certains de ces livres ont été adaptés au cinéma (Blade Runner, Total Recall, Minority Report, A scanner darkly, Truman show) ou ont influencé des longs métrages (Existenz, Inception, Dark City, Brazil, l’Armée des douze singes, Source Code, L’Agence, Southland Tales, Avalon, Matrix), des séries télévisées (le maître du haut château, Electric Dreams), l’animation japonaise (Ghost in the shell, Psycho pass), des jeux vidéos (Deux Ex), et même la philosophie (« Simulacres et simulations » de Jean Baudrillard). 

Philip K. Dick : photo du film de Blade Runner
Philip K. Dick : illustration montrant in logo intelligence artificielle

Philip K Dick est connu pour explorer des thématiques telles que la question du réel, l’identité, la schizophrénie, la dystopie… mais ce que l’on sait moins, c’est qu’il a une histoire particulière avec la Lorraine, où il a passé, selon ses propres mots, « la plus belle semaine de sa vie » ! Comment un auteur qui n’avait jamais osé mettre les pieds hors des États-Unis a-t-il pu se retrouver à Metz ? 

K. DICK, d’après l’article de Libération, « Philip K. Dick, Metz du couronnement », par Frédérique Roussel
Invité d’honneur en 1977 du festival international de science-fiction de Metz, l’écrivain américain traine une réputation de drogué.
 
Comment l’auteur du Maître du Haut Château et d’Ubik a-t-il pu atterrir dans cette petite ville de Lorraine, lui qui ne quitte jamais la Californie ? Grâce à la détermination de Philippe Hupp. Ce jeune Messin lance en mai 1976 la première édition du festival international de la science-fiction de Metz, avec le soutien de la patronne du Républicain lorrain, Marguerite Puhl-Demange, elle-même lectrice de SF. Le directeur de 22 ans a carte blanche… et le budget qui va avec.
 
Il décide d’inviter Philip K. Dick. C’est sans doute une gageure. «Je savais que chaque fois qu’il avait été invité quelque part, dit-il, soit il décommandait à la dernière minute, soit il ne venait pas tout court.» On raconte qu’après la convention de Vancouver en février 1972, l’écrivain a fait une tentative de suicide aux tranquillisants. Bref, Phil le parano ne va jamais nulle part, n’aime pas voyager et, si toutefois par miracle il se déplace, les choses peuvent tourner au cauchemar.
 
A la lettre d’invitation du 23 février 1977, Dick répond le 17 mars avec enthousiasme, mais personne n’y croit. Les éditeurs sont sûrs qu’il ne viendra pas, parce qu’il est fou, parce qu’il préfère se cloîtrer chez lui.
Philippe Hupp ne se laisse pas décourager. Au printemps 1977, il se rend aux Etats-Unis pour une tournée d’écrivains et, évidemment, va voir Dick. Il loue une voiture à Los Angeles et se rend à Santa Ana. Appartement sombre, tabac à priser sur la petite table du salon. «Choisissez un restaurant dans le quartier, je vous invite», propose-t-il au maître des lieux. Menu italien et deux bouteilles de bardolino plus tard, l’affaire est une seconde fois scellée. La tête dans des nuages alcoolisés, Hupp fixe des souvenirs de ce joyeux consentement avec son Leica, dont une photo restée célèbre de Dick avec un chat dans les bras. Et il rentre euphorique à son motel. De retour en France, il claironne l’hallucinante nouvelle. «Tu rigoles ? lui rétorque-t-on. Il t’a peut-être dit oui, mais il ne viendra pas. Il a fait faux bond à des événements bien plus importants que le tien, il n’est même pas allé à Londres !»
Philip K. Dick et son chat

Philip K. Dick chez lui à Santa Ana (Californie), en 1977.
Photo Philippe Hupp. Leemage
Arrive septembre. La veille ou l’avant-veille de l’ouverture du festival. Philippe Hupp décide d’aller chercher «en mains propres» l’écrivain et sa compagne d’alors, Joan Simpson, 32 ans, à l’aéroport de Luxembourg. Ils sont là, et bien là. «Il avait juste une petite valise avec presque pas de fringues. Je lui ai dit : “Vous n’allez pas tenir sept jours.” Il portait sa chemise noire fétiche avec des lunes. Je l’ai accompagné à l’hôtel, puis on est allés lui acheter des chemises sur le budget du festival.» Dont le modèle qu’il portera à la conférence, quelques jours plus tard.

Logé au Sofitel, l’écrivain, assailli d’appels, doit bientôt changer de chambre. Des instructions strictes sont données au personnel de l’établissement de ne pas communiquer son nouveau numéro. 
 
La fameuse conférence est prévue l’avant-dernier jour du festival. Le jour J, un samedi, la grande salle mise à disposition par la municipalité craque de toute parts. Des gens, fans et curieux, boutonneux et enseignants, éditeurs et science-fictionneux, sont assis par terre, dans les pots de fleurs, ou poirotent debout. Au fur et à mesure que la voix de Dick s’écoule, entrecoupée par celle de Marcel Thaon qui s’accroche à la traduction, quelques-uns déclarent forfait. Ils s’attendaient à ce que le Californien parle de son œuvre, ils n’entendent que des spéculations théologiques obscures, au rythme de la traduction de Marcel Thaon, à ses côtés, toutes les cinq ou six phrases. «Ce discours porte sur quelque chose qui a été découvert il y a très peu de temps, quelque chose qui n’existe peut-être pas du tout. Je pourrais donc dire à peu près n’importe quoi. Je ne crois pas pouvoir faire d’erreur si je parle de quelque chose qui n’existe pas. Ce quelque chose, ce sera ce que j’appelle le temps orthogonal, un temps qui monte en ligne droite du temps que nous connaissons.» Nous sommes le 24 septembre 1977. Le plus grand écrivain de science-fiction du monde se trouve à Metz (Moselle) en tant qu’invité d’honneur. Et personne ne comprend de quoi il parle.
 
Le lendemain matin, son éditeur Gérard Klein, qui l’a publié en France dès Ubik en 1970 prend le petit déjeuner avec lui. «Et avec beaucoup de diplomatie, se rappelle-t-il, je lui dis : “Phil, est-ce que tout ce que vous avez dit hier, vous le pensez ?” Et à ce moment-là, il m’a fait un énorme clin d’œil, et n’a pas répondu. Et on est passé à autre chose.»
Ce dimanche-là, il y a aussi le second plus grand moment du festival : la projection en avant-première de la Guerre des étoiles que le pugnace directeur avait obtenu en allant voir directement Gary Kurtz, en post production à Londres. Le producteur, venu en personne avec les bobines, se trouve dans le cinéma en même temps que Philip K. Dick et presque tous les membres de l’incroyable brochette de la photo ci-dessus, prise dans la foulée devant les rotatives du Républicain lorrain
 
Dick espérait revenir en France : « c’est terriblement excitant de savoir que je retourne à Metz où je me sentais tellement chez moi. Mon plaisir est sans limites.», confia-t-il dans une lettre de janvier 1982. Un mois plus tard, le 23 février, une lettre de son agent annonça l’AVC de Dick. Le 2 mars 1982, l’immense écrivain visionnaire s’éteignit dans un hôpital de Californie, à seulement 53 ans. 

Durant ce week-end de septembre, nous rendrons hommage à Philip K. Dick grâce à une table ronde animée par des auteurs français qui l’ont connu. Un recueil de nouvelles publié par les éditions Livr’S, « Étrange K. Dick », lui sera dédié, ainsi qu’une mystérieuse chasse au trésor… Dick est-il vraiment mort ?